Secret

La planque que les assassins du groupe Varia avaient faite aménager au Japon demeurait inoccupée en leur absence, il n'y avait pas même un domestique pour entretenir quotidiennement la demeure. Quand Squalo tira les rideaux de l'une des fenêtre du salon pour avoir de la lumière, il découvrit la pièce dans le même état que celui dans laquelle il l'avait laissée avant d'aller assister au combat opposant leur chef, Xanxus, au morveux que le vieux parrain Vongola avait choisi pour prendre la tête de la famille quand lui-même se retirerait de la scène : les reliefs de leur dernier repas occupaient encore la longue table en bois, et il y avait même une chemise posée n'importe comment sur le dossier d'une des chaises - ça n'intéressait pas Squalo de savoir à qui elle pouvait bien appartenir... Belphégor, sans doute, ce type aux allures d'adolescent laissait toujours tout traîner sous prétexte qu'il était "un prince, et les princes n'ont pas à faire le ménage". De l'autre côté de la pièce, près du fauteuil dans lequel Xanxus se vautrait encore quelques semaines plus tôt, il restait encore des bouteilles de whisky vides et des verres sales. Dans la pièce flottait une odeur de renfermé mélangée à celle, plus légère, de l'alcool. Personne n'avait aéré depuis qu'ils avaient quitté les lieux.
Bien qu'il ne soit pas fatigué du voyage qu'il avait fait depuis l'Italie, Squalo se laissa tomber sur une chaise. Devant lui, dans une assiette, il y avait les restes d'une espèce de tarte. Son dernier repas remontait déjà à une dizaine d'heures et le frigo ici était vide. Sans plus réfléchir, Squalo eut un geste idiot : il se saisit d'une fourchette, détacha un morceau de la tarte et la porta à ses lèvres. À peine avait-il commencé à mastiquer qu'un goût infect envahissait sa bouche. Il s'empressa de recracher sa bouchée et observa, un peu dégoûté, l'asticot qui se tortillait dans ce qu'il avait failli manger. L'épéiste avait vu pire au cours de son existence, mais on avait beau être un tueur endurci, manger des asticots, non. Dégueulasse. Pour se rincer la bouche, Squalo alla chercher l'une des bouteilles abandonnées par Xanxus : le whisky, au moins, ça ne pourrissait pas. La mince couche de poussière au fond des verres ne l'engageant pas à s'en remplir un, l'homme but directement au goulot, une longue rasade qui lui brûla la gorge et lui réchauffa le ventre. Il s'essuya ensuite la bouche du dos de la main ; ce n'était pas sa boisson préférée, mais au moins ça lui avait passé le goût.
Squalo tendit l'oreille. Il n'y avait aucun bruit, la demeure était vide. Il savait que Belphégor aussi était de retour en ville, mais à première vue il ne devait pas être ici... tant mieux. Ça lui laissait le champ libre. Sa main gantée de noir plongea dans la poche de son blouson, et en retira lentement un petit instrument aux deux lames tranchantes, qui luisirent faiblement au soleil...
Une paire de ciseaux.
Depuis la promesse qu'il avait faite à Xanxus, pensant que ce dernier prendrait la tête des Vongola sans mal, Squalo n'était plus censé se couper les cheveux. Huit ans auparavant, ses courtes mèches blanches se hérissaient derrière sa tête, mais aujourd'hui devenues longues, trop longues, elles cascadaient dans son dos et sur ses épaules, et le gênaient parfois en combat. S'il avait tenu parole, les cheveux de l'épéiste lui arriveraient aujourd'hui aux genoux et sa frange lui recouvrirait entièrement le visage ; si tel n'était pas le cas, c'était parce que de temps en temps un coup de ciseaux bien placé entretenait sa dignité. Aujourd'hui, aucun autre membre de la Varia ne risquait de le surprendre dans son entreprise. Squalo se leva et ferma à clef les portes du salon : deux précautions valent mieux qu'une, comme dit le proverbe. Il alla ensuite se placer face au haut miroir du salon et, sans quitter son reflet des yeux, entreprit de rafraîchir un peu sa coupe. Ses pointes menaçaient d'obstruer son champ de vision de façon très gênante, s'il ne remédiait pas au problème très vite.
Heureusement qu'il n'y avait personne pour le surprendre...

Spoiler:

Spoiler:

Squalo etait un tueur emerite, tout le monde ne pouvait pas se vanter de s'etre vu proposer le poste de chef de la Varia - il avait decline l'offre, mais le prestige demeurait le meme. Il avait son honneur, l'honneur d'un guerrier, celui du meilleur epeiste du monde! titre qu'il ne tarderait d'ailleurs pas a rendre officiel s'il survivait au ridicule de cette situation : c'etait tout de meme malheureux que sa dignite du patir ainsi d'une promesse un peu idiote faite dans sa jeunesse! Generalement, ses collegues assassins s'abstenaient de se moquer de ses cheveux ; Squalo preferait croire a une forme de respect de leur part qu'a un deplorable manque d'inspiration en matiere de vannes ; seulement la, l'occasion etait trop belle pour que Belphegor la rate.
Ce type etait entre dans la salle d'une facon peu discrete, aussi Sualo aurait-il du avoir le temps de s'ecarter du miroir et de faire disparaitre la paire de ciseaux, mais voila : a l'instant fatal ou, caches derriere ses meches blondes, les yeux de l'autre tueur se posaient sur lui, l'epeiste etait justement en train d'egaliser sa franche. Il devait faire un choix : cacher l'outil incriminant et faire comme si de rien n'etait avec une frange oblique qui ne manquerait pas de mettre la puce a l'oreille de Belphegor, ou couper ce qui depassait et tuer le blond s'il l'ouvrait. La seconde solution correspondant plus a ses habitudes, Squalo n'hesita pas trop.

"Tiens donc, mais qui voila ? demanda Belphegor avec son large sourire habituel, celui-la meme que Squalo aurait demolli avec joie.
- Qu'est-ce que tu fous la, Bel ?!" le salua-t-il en retour avec toute l'amabilite dont les Varia avaient le secret, tout en faisant passer les ciseaux de sa main droite a la poche arriere de son pantalon.

D'un autre cote, la question etait tout a fait censee : qu'etait-il revenu faire ici, alors qu'ils venaient tout juste d'etre gracies par le parrain Vongola? Squalo se doutait bien aue la reponse ne lui plairait pas...

Spoiler:

C'etait definitif : Squalo ne supportait pas ce type aux manieres douteuses. Il avait toujours l'air de trouver la situation amusante, comme si ceux qui l'entouraient n'etaient pas en mesure d'en saisir le cote comique, comme s'il fallait se situer a un niveau superieur pour se permettre d'en rire. Ces histoires de soit disante royaute n'interessaient pas l'epeiste de la Varia, et ne constituait pas, a ses yeux, une excuse suffisante au comportement de Belphegor. D'ordinaire il le tolerait - tous les assassins etaient un peu tordus, apres tout - mais la, l'autre etait beaucoup trop pres pour qu'il fasse preuve de clemence a son egard. Il voulait mourir ou quoi? Personne ne s'approchait comme ca d'un tueur, sans prendre la moindre precaution! Les yeux de Squalo fouillerent la salle mais n'y decelerent aucun de ces fils dont le prince prenait pour habitude de s'entourer avant d'attaquer, donc soit Belphegor surestimait ses capacites, sa reputation de genie commencait a lui monter a la tete, soit il etait devenu tres stupide.
Froncant encore davantage ses sourcils, Squalo toisa l'insolent d'un air mauvais - s'ecarter, ou meme repousser Belphegor, pourrait etre pris comme une mesure de prudence. C'etait ridicule, il ne craignait pas ce type. En combat rapproche, il etait pratiquement sur de le dominer sans peine. Sa question l'emmerdait profondement ; les ciseaux pesaient lourds dans sa poche.

"Uoooi ! En quoi ca te regarde ? repondit-il en montrant presque les crocs, Va pas t'imaginer que ca tout t'appartient ici !"

Il ponctua sa phrase d'un fort delicat coup d'epaule, assene alors qu'il depassait Belphegor - le compromis ideal entre le repousser et s'ecarter de lui. L'epeiste ne lui tourna pas longtemps le dos : ils avaient beau oeuvrer pour la meme organisation, aucune confiance ne regnait au sein de ce groupe. Il leur arrivait souvent d'entrer en conflit et de manquer y laisser leur vie, et cela n'etonnerait pas Squalo si les choses degeneraient de la sorte.